14 solutions contre la fraude aux assurances sociales

Les syndicats genevois proposent un « pacte » social et 14 solutions concrètes pour lutter efficacement contre la fraude massive aux assurances sociales

Le 4 mars dernier, le Département de l’économie et de l’emploi, la SUVA et les caisses AVS ont annoncé dans un communiqué de presse commun que – selon leurs estimations – le montant des cotisations impayées à Genève s’élève à plusieurs millions de francs pour la seule année 2020. Cette annonce n’a pas surpris les syndicats genevois qui dénoncent publiquement depuis des années des scandales à répétition, notamment dans les secteurs de la construction. La collectivité toute entière est impactée par ces fraudes massives aux assurances sociales. Ces atteintes à l’intérêt public liées à la sous-traitance sauvage entrainent des faillites frauduleuses en cascade et une précarisation à outrance des travailleurs et travailleuses.

En revanche, la mesure proposée par Madame Delphine Bachmann, Conseillère d’Etat en charge du DEE, a laissé les syndicats sans voix. Comment les autorités peuvent-elles, sérieusement, proposer la signature d’une charte à des patrons-voyous, alors qu’ils ont au fil des années érigés un véritable système mafieux pour échapper à leurs obligations légales ? Alors qu’aujourd’hui, ils ne craignent déjà plus les sanctions pénales prévues par la loi ?

Après un moment de stupéfaction face à l’indigence de la proposition, les syndicats lui ont finalement trouvé un sens : remettre ce dossier explosif sur la scène médiatique et politique, après avoir prêché dans le désert pendant des lustres.

Ainsi, aujourd’hui, lors d’une conférence de presse devant un grand chantier du canton, ils ont d’abord expliqué en détail leur travail de longue haleine visant à combattre les fraudes aux assurances sociales. Puis, ils ont exposé – sur la base de nombreuses affaires concrètes dénoncées pénalement auprès du Ministère Public – le pacte social qu’ils entendent proposer à Madame la Conseillère d’Etat, à l’UAPG, à la FMB et à la SSE.

Ce pacte social pourrait être mis sur pied rapidement, pour autant que les parties adoptent une volonté politique commune basée sur la bonne foi – sans double discours ou fausses promesses. Car pour les grandes entreprises de la place il n’est plus acceptable, ni tenable, d’engager comme sous-traitants des sociétés dont les administrateurs cumulent jusqu’à 4, 5 ou 6 faillites consécutives.

Bon nombre de pistes de solutions ont déjà été présentées au patronat à plusieurs reprises sans aucun succès. Malgré cela, dans le cadre de ce pacte, les syndicats proposent notamment qu’à l’avenir :

1. les entreprises principales procèdent à la réinternalisation des travaux de ferraillage au sein de leurs effectifs : le ferraillage est un secteur particulièrement gangréné par des pratiques mafieuses avec le record de 50 faillites en 5 ans ;

2. à défaut, elles revalorisent les prix de la pose de la ferraille, qui se sont littéralement effondrés ces dernières années en raison de la concurrence sauvage imposée sur le marché ;

3. les partenaires sociaux abordent sans tabou avec le Conseil d’Etat la possibilité de régulariser les ferrailleurs, dont plus de 80 % sont sans statut légal et, de facto, particulièrement exposé à une précarisation extrême, allant de l’usure à la traite des êtres humains ;

4. les entreprises principales annoncent désormais l’ouverture de tout chantier impliquant de la sous-traitance aux commissions paritaires concernées aux fins de contrôle en amont des conditions de travail des employés ;

5. l’attestation multi-pack, outil patronal sensé attester qu’une entreprise est en ordre avec ses obligations légales (AVS, Impôts, 2ème pilier), mentionne désormais tout accord de paiement concernant des retards de cotisations ;

6. aucune entreprise ne puisse sous-traiter des travaux sans que le sous-traitant ne fournisse une attestation de conformité conventionnelle à solliciter auprès des commissions paritaires de secteur ;

7. les effectifs de l’office des faillites soient renforcés, avec la création d’un pôle dédié au traitement des faillites frauduleuses. Car à ce jour, un demi- poste d’expert financier seulement (!) y est dévolu, alors que 700 faillites sont prononcées chaque année à Genève ;

8. les entreprises principales prévoient un fond visant au paiement des éventuelles créances salariales des ouvriers ayant œuvré sur leurs chantiers pour le compte des sous-traitants ;

9. à l’instar du règlement des marchés publics (RMP), les entreprises principales n’engagent des sous-traitants que dans les mesures où ces derniers figurent au registre du commerce depuis 3 ans au moins. Et ce, pour éviter le jeu de « j’ouvre une entreprise, je suis clean… Je fais faillite, je ne le suis plus, j’ouvre une nouvelle entreprise et c’est réglé, etc. » ;

10. la brigade financière et le pôle d’investigation du MP soient renforcés pour les affaires de délinquances financières ;

11. un accès systématique aux dossiers pénaux par le ministère public soit garanti, quand les dénonciations pénales proviennent des syndicats et qu’elles sont nombreuses ;

12. les administrateurs ayant fait l’objet de faillite soient poursuivis sur leurs deniers personnels ;

13. les fiduciaires véreuses qui organisent la fraude sociale avec des montages financiers frauduleux et le contournement des CCT soient poursuivies ;

14. un travail de lobby à Berne du Conseil d’Etat genevois pour modifier la loi sur l’AVS soit exigé, s’agissant de l’annonce des travailleuses et travailleurs avant leur prise d’emploi. Et non pas l’année suivante comme actuellement, ce qui laisse l’opportunité aux fraudeurs de ne pas annoncer leurs employés, sous le principe du « pas vu pas pris ».

Enfin, même il s’agit d’un travail à de plus longue haleine, les syndicats genevois considèrent qu’il est également indispensable d’agir sur le plan fédéral. A ce propos, ils se réfèrent à l’annonce de la SSE au niveau national, parue dans son magazine de fin d’année 2023, se félicitant que 61 candidats émanant de ses rangs aient été élus au Conseil national et que, par conséquent, ce dernier pourra être plus constructif à l’avenir.

Nous ne nous réjouissons pas d’en voir les résultats et, dans l’intervalle, demandons à ces parlementaires issus de la droit patronale d’agir pour notamment :

1. modifier la loi sur le chômage, pour permettre le paiement des indemnités en cas d’insolvabilité lors d’un défaut de paiement de l’assurance perte gain maladie obligatoire par l’employeur ;

2. augmenter le capital social de départ pour la création d’une entreprise, et que ce capital reste bloqué tant que la société existe : avec la possibilité de récupérer celui-ci pour payer les arriérés de salaires aux travailleurs-euses ;

3. rendre obligatoire l’annonce des employé-e-s dès le premier jour de travail ;

4. rendre obligatoire les poursuites pénales par l’AVS des employeurs et administrateurs qui ont fraudé l’AVS, que ce soit en ne versant pas les cotisations ou en les détournant.

La population l’aura compris, il s’agit d’un dossier d’intérêt public qu’il convient de renvoyer aux politiques. A elles et eux, quel que soit leur bord, de prendre leurs responsabilités. Les syndicats ont pris les leurs depuis des années déjà contre vents et marrées, et sont déterminés à s’assurer que ce dossier ne soit pas une nouvelle fois enterré.

Si cela devait être le cas, des dénonciations pénales seront alors dirigées contre les administrateurs des grandes entreprises, avec des procédures visant à les exclure des marchés publics. A force de faire des affaires avec des voyous qu’on a encouragé à s’installer, on finit par se brûler les doigts.

Thierry Horner (SIT), José Sebastiao (Unia), Pedro Leite (Syna)